Redynamiser le centre ville ( par Philippe Beury le 22 juillet 2007 )
La vie au centre ville.
Grâce à son cadre exceptionnel, la ville de Troyes possède un centre ville relativement animé. Pourtant, si nous n’y prenons garde, nous risquons de le voir se transformer uniquement en « ville-musée » et de constater, progressivement, la disparition des commerces. Or cette vie commerçante est précisément celle qui a permis à notre ville de devenir ce qu’elle est. Le commerce est source d’emplois mais surtout, il permet d’adapter constamment le cadre aux réalités du monde actuel.
Sans commerce florissant, la ville deviendrait progressivement un terrain de jeux, un musée, un « Disneyland » de pacotille, attirant quelques curieux avides de sensations historico-culturelles sans refléter la réalité des Troyens. Ce genre de cités existe, elles s’appellent Saint-Tropez ou Ramatuelle mais, outre que la géographie ne nous a pas dotés du même ensoleillement, donc des mêmes perspectives touristiques, ces cités ont des vies saisonnières, elles sont peuplées d’étrangers au pays, et perdent chaque jour un peu plus de leur humanité.
Le défi à relever tient en deux concepts un peu contradictoires :
Faire vivre des Troyens au centre ville de Troyes.
Attirer des chalands venant des environs proches et des touristes originaires de régions plus éloignées.
Faire du centre ville, un immense centre commercial
Les « petits commerçants » accablés par leurs soucis ont pris la fâcheuse habitude de simplifier à outrance les problèmes et de ne voir dans leur déclin progressif que quelques boucs émissaires : les grandes surfaces, l’URSSAF, les 35 heures...
Il n’est pas question de nier ici les difficultés économiques, la lourdeur de la législation du travail ou la concurrence sauvage venant des grandes surfaces mais je veux plutôt essayer de rechercher ce qui fait le succès de ces grandes surfaces et l’appliquer au centre-ville. L’étude des causes de la réussite des supermarchés nous donnera des pistes intéressantes.
Certains éléments sont transposables aux petits commerces du centre ville et permettront de nets progrès, d’autres sont inapplicables. Je ne m’attarderai pas ici sur les atouts, nombreux, de la petite distribution. Ils sont connus de tous et expliquent la « résistance » du centre. Je préfère chercher, dans ce qui apparaît comme des handicaps, de nouvelles voies d’innovation et de progrès.
Pourquoi les chalands fréquentent-ils les grandes surfaces ?
Parce que c’est moins cher.
Parce que le choix est plus grand.
Parce que le stationnement est plus facile et la circulation aisée.
Parce qu’il existe des facilités de paiement.
Parce qu’il existe un côté "ludique" dans l’équipée au supermarché.
Parce qu’elles sont ouvertes à des horaires plus adaptés aux gens qui travaillent.
Chaque point précédent correspond à une attente de la population. Certains sont rédhibitoires, le problème des coûts semble difficilement soluble par exemple. Le petit commerce restera toujours plus cher. Il ne sert à rien de le nier.
D’autres postulats, pourtant couramment admis par tous, ne correspondent pas à la réalité. Le problème du choix en est un. Il y a infiniment plus de possibilités de trouver la veste vous convenant rue Emile-Zola qu’à Carrefour. Il est plus facile de trouver à l’intérieur du « Bouchon de Champagne » le pain correspondant à vos goûts... Il y a donc ici une question de communication que des campagnes d’affichages ont déjà essayé de résoudre sans succès apparent.
Les commerçants doivent se prendre en main, certains domaines sont de leur compétence, à eux de jouer...
Il existe des points où les commerçants peuvent progresser :
1. Les horaires
C’est vrai que les petits commerçants ont plus de difficultés à gérer leurs plages d’ouverture que leurs concurrents. Quand une ou deux personnes seulement travaillent dans un commerce on ne peut pas ouvrir six jours sur sept, de 8h à 20h, voire 22h...
Pourtant une amélioration significative peut être envisagée. C’est indispensable car les habitudes des chalands se sont modifiées et ils cherchent de plus en plus à trouver une réponse à leurs besoins le soir ou entre midi et deux heures, aux moments où, traditionnellement, les petits commerces ferment, rejetant leurs clients potentiels dans les bras de leurs concurrents périphériques.
Quelques pistes à suivre :
Extension de la journée continue.
Création de nocturnes de quartier comme il en existe dans les hypermarchés.
Ouverture et fermeture plus tardives.
Ouverture certains dimanches.
Bien sûr cela suppose la collaboration de tous. Il ne suffit pas d’un seul commerçant qui adapte ses horaires, il faut que tous participent à cette action.
Il faudra aussi négocier avec le préfet afin de faire évoluer la législation départementale et obtenir des dérogations. Cela ne devrait pas être difficile.
En commençant prudemment, par exemple par la création d’une soirée nocturne par semaine et par quartier, en adaptant les horaires aux résultats, on peut attirer la clientèle. Pourquoi ne pas essayer ?
2. Les facilités de paiement
Toutes les grandes surfaces maintenant disposent de cartes de crédit (type Carte « Pass » de Carrefour) à laquelle s’associe des avantages.
Est-il stupide d’essayer de convaincre une banque de créer une carte similaire pour les commerçants du centre ville et de lui associer des avantages importants (points fidélité, tarifs préférentiels, gratuité du stationnement, location gratuite de vélo à partir de parcs de stationnement) ?
Une expérience avait été tentée il y a quelques années. Limitée par le nombre des commerçants concernés, elle se solda par un échec. Il faudrait étudier en détail les raisons de ce revers pour réussir la prochaine fois.
3. Trouver une nouvelle dynamique commerçante
Les commerçants sont peu habitués aux actions collectives. Mis à part quelques animations commerciales dont l’impact est rapidement perceptible, Ils acceptent difficilement de s’unir pour construire. Cela ne tient pas uniquement à un manque de temps. Il y a ici un problème de culture, ces hommes font du commerce justement parce qu’ils apprécient l’indépendance. Ils partagent ce point de vue avec les membres des professions libérales par exemple, eux aussi attachés à l’autonomie. La dynamique de groupe n’est pas innée chez eux. Ce n’est pas un défaut certes, mais cette indépendance doit parfois être limitée si l’on veut progresser.
Pour avancer il faudra unir les volontés. Cela nécessite une action plus soutenue des associations de commerçants. Au sein de structures dynamiques, il sera possible de faire des choix acceptés par tous. Ces associations ne devront pas se limiter à l’organisation d’opérations ponctuelles comme c’est trop souvent le cas. Les associations de commerçants, en effet, ont souvent été de petits groupes ne rassemblant qu’une minorité d’actifs pour organiser quelques « semaines commerciales » améliorées. Ce n’est pas suffisant. Elles doivent prendre en main une partie de la réflexion sur l’avenir du centre qui doit exister en tant qu’entité vivante et ainsi devenir les partenaires privilégiés d’autres organes de réflexion comme les associations de consommateurs ou la municipalité. Pour prendre véritablement leur autonomie, ces associations doivent se sentir écoutées, elles doivent voir se concrétiser leurs propositions, elles doivent aussi oser la confrontation avec les autres.
On pourra ainsi aller plus loin dans la rénovation du centre sans laisser aux élus la charge de tout concevoir, de tout mettre en œuvre, de tout décider. C’est, ici encore, du travail en commun que naîtront les vrais solutions.
4, Quelques idées en vrac...
Et il ne faut pas hésiter à aller loin. Quelques pistes ?
Mettre des « Caddy » à la disposition de chalands du centre-ville.
Organiser un système commun de livraison à domicile des achats pour éviter que l’éloignement de la voiture stationnée devienne un problème.
Aider à la création d’une agence de reloocking permettant aux clients de préciser leur demandes et de s’orienter parmi les nombreuses offres du centre-ville.
Créer une carte d’achat spécifique.
Mutualiser les offres pour le confort des acheteurs.
Transporter les personnes âgées ou les personnes à mobilité réduite. Etc. etc.
Tout est possible, il suffit d’oser...
Domaines où la ville a un rôle direct à jouer.
Il existe des domaines où l’action de la municipalité peut améliorer les choses.
1. Améliorer la circulation et le stationnement
Voir le chapitre spécifique sur ce sujet.
2. Augmenter le nombre d’habitants du centre ville
La désertification du centre ne fait pas de doute. Les citadins fuient les rues les plus mouvementées et maintenant les rues rénovés qui sont devenues très bruyantes le soir. C’est une catastrophe pour le commerce de détail. Les petits commerces de bouche vivent essentiellement de la clientèle de proximité. La disparition des petits détaillants, qui s’amplifie d’année en année, est délétère. En effet ces boutiques sont des facteurs de convivialité irremplaçable. C’est parce que, chaque jour, on vient acheter son pain au même endroit à la même heure qu’on apprend à connaître ses voisins. Votre marchand de journaux n’hésitera pas à vous faire crédit pour « Libération-Champagne » si vous avez oublié votre monnaie (Essayez donc de demander quelque chose à crédit à Carrefour...) Les jeunes enfants vivent dans un univers familier, ils sont surveillés sans même le savoir par plusieurs adultes qui les connaissent. Ainsi chacun retrouve une identité. L’homme n’est plus anonyme et isolé, il fait partie d’une communauté.
Ces commerces facilitent aussi la vie des citoyens travaillant dans le secteur : employés administratifs, vendeurs... Sans eux la vie quotidienne serait plus difficile. Bien sûr, on peut travailler dans une rue pleine de boutiques de souvenirs, de restaurants et de banque mais cela pose des difficultés quotidiennes. Pour cette raison également, il importe de lutter contre l’orientation uniquement festive des quartiers qui perdent ainsi une part de leur réalité, de leur convivialité donc de leur dynamisme.
Les habitants soutiennent donc le petit commerce nécessaire à l’animation. Rien ne remplace pour faire vivre un quartier leur présence effective. Depuis des années nous avons vu se dépeupler certaines rues du centre ville. La rue Emile Zola en est l’exemple le plus criant.
La faute n’en revient pas uniquement aux élus. Les propriétaires, les commerçants en tête en sont parfois responsables. Beaucoup d’étages ont été petit à petit transformés en réserves. Les accès aux escaliers, les couloirs, ont disparu pour agrandir les vitrines. Les propriétaires redoutent la présence de locataires dont le loyer compensera difficilement le coût des réparations nécessaires pour rendre habitables des appartements souvent vétustes.
On en vient à des situations difficiles. Levez la tête un soir et comptez le nombre de fenêtres éclairées rue Emile-Zola. Personne ne vit plus là ; plus de couples, plus de personnes âgées, plus d’étudiants, plus d’enfants... Ceci renforce l’insécurité du centre. Personne pour entendre l’appel à l’aide de celui qui est agressé dans la rue et prévenir la police, personne pour s’inquiéter d’une odeur de brûlé et déclencher les secours avant que l’incendie ait pris des dimensions insurmontables, personne pour aider l’isolé qui souffre...
Dire cela, c’est facile... Fustiger les propriétaires c’est aisé... Accuser la municipalité, c’est simpliste... Obtenir qu’on fasse marche arrière, c’est beaucoup plus difficile. Diminuer sa vitrine d’1m50 pour permettre l’accès à l’étage c’est, pour un commerçant, accepter de réduire son seul espace publicitaire et se résigner à une moindre fréquentation de son magasin. Emprunter sans être sûr de rentabiliser l’emprunt c’est courir le risque de la faillite. Accepter des locataires c’est se compliquer la vie avec des loyers à faire rentrer, des entretiens à faire effectuer, des locataires à trouver... Ce n’est pas si simple qu’il y paraît.
Cette complexité rend caduque toute tentative d’amélioration qui ne tiendrait que sur quelques subventions. Il faut faire plus. Avant de conduire des mesures d’incitation il faut convaincre... Cela ne se fait pas en un jour. Il faut discuter, écouter l’autre, trouver des solutions. Il faut, là aussi, faire intervenir les associations de commerçants qui ont un rôle majeur à jouer. Faute d’en avoir suffisamment pris conscience on n’a pas pu lutter contre l’intensification de la désertification.
Oui, il faut envisager un programme de rénovation des appartements pour faire habiter plus de monde dans le centre ville. Cela suppose certaines mesures fiscales, certaines aides sous forme de subventions et surtout la réalisation d’un plan de réhabilitation du centre ville conçu par des personnes compétentes. La mobilisation coordonnée des différentes entreprises aptes à mener des processus de réhabilitation (Mon Logis, Troyes Habitat, OPAC, etc.) sera alors possible et efficace. Beaucoup de travail en perspective mais un résultat certain quant à l’amélioration de la qualité de vie. Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
Dans le cadre des Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH), la ville de Troyes se gausse de « 300 logements réhabilités, dont plus de la moitié étaient vacants auparavant ». L’objectif pour 2010 est la « réhabilitation de 400 logements nouveaux ». Osons dire que c’est trop peu, trop long, pas assez ambitieux. Une rénovation globale et majeure au centre ville.
L’exemple d’Amiens mérite ici d’être médité. Cette ville possède un secteur ayant miraculeusement échappé aux bombes lors de la dernière guerre. Le quartier Saint-Leu était vétuste. D’autre part la cité n’avait pas su résister, il y a quelques années, à la construction de campus universitaires éloignés du centre. Gilles de Robien a choisi de réinstaller les étudiants dans la ville. C’est vingt cinq mille étudiants qui y sont attendus. L’université des sciences a été installée dans le quartier Saint-Leu, à quelques pas, une école supérieure de commerce a pris ses aises dans une ancienne usine bordant la Somme et bientôt la ZAC de la cathédrale rénovera le centre même de la cité en y incorporant la faculté de droit et la bibliothèque universitaire. Là, tous les offices HLM se sont mobilisés pour rénover un vieux quartier et pour en faire un nouveau "quartier Latin". Dunkerque a fait de même en choisissant d’installer son université dans un site en déclin : le port. Des fenêtres de la faculté des sciences, à quelques mètres de l’hôtel de ville, on contemple les quais... Dans ces deux villes on a su investir sur le passé, en innovant par des projets architecturaux novateurs. Nous le pouvons aussi à Troyes.
3. Maintenir la diversité des commerces.
C’est la diversité commerciale qui fait l’attractivité du centre. Or, celle-ci diminue jour après jour. Le centre est envahit par les banques, les assurances et autres vendeurs de téléphones. Cette monotonie commerciale appauvrit l’offre, éloigne les acheteurs potentiels et désertifie la cité à certaines heures.
On connaît les raisons de cette monotonie commerciale : la hausse des prix de l’immobilier. Quand elles veulent s’implanter quelques part, les banques, par exemple, sont capables de faire monter les prix très haut, trop haut pour qu’un commerce traditionnel puisse acheter en espérant faire face à ses frais fixes.
D’autres villes sont confrontés au même problème. Dans un article récent, je soulignais le problème et citait l’exemple de l’avenue des Champs-Elysées à Paris : « Troyes, quel commerce pour le centre ville ? ». Un de nos lecteurs s’est empressé de gloser et d’affirmer que la ville ne pouvait rien faire et, qu’encore une fois, nous faisions des procès injuste au maire.
Reims utilise son droit de préemption...
On a appris depuis que Reims, confronté au même problème, « a décidé de se doter d’un droit de préemption sur les fonds de commerce et les baux commerciaux. Cette disposition concerne un périmètre qui déborde largement le centre-ville. Chaque cession devra être déclarée à la mairie, qui disposera d’un délai de deux mois pour faire jouer son droit de préemption. » En pratique, lors de la mise en vente d’un site, la ville intervient si l’acheteur fait excessivement monter les prix et ne répond pas aux objectifs de diversification commerciale. Elle peut ensuite vendre ou louer le site à un commerce répondant mieux aux projets du centre.
Encore faut-il avoir un véritable projet pour le centre-ville...
4. Lutter contre l’exil de la grande distribution hors de Troyes.
Il y a quelques années, un commerçant du centre ville avait proposé d’installer une grande surface sur le terrain du lycée Pithou (actuel Espace Argence). Cette suggestion avait été accueillie avec passion. Les petits commerçants y voyant une provocation, une lutte inégale, d’où ils pensaient ne pouvoir sortir que perdants. Bien vite, cette proposition tomba dans l’oubli, c’est peut-être dommage...
Aujourd’hui les mentalités ont évolué. L’idée de transférer à l’intérieur de la ville une grande surface périphérique fait son chemin. Les études nationales démontrent que l’avenir des centres villes peut être transformé si on les conçoit comme de vastes centres commerciaux. La passion calmée il semble nécessaire de réfléchir à ce qu’aurait pu apporter une telle implantation.
Le quartier Brossolette est un parfait exemple de la complémentarité pouvant exister entre un supermarché et des petits commerces. Il y a quelques années, quand le SUMA s’installa avenue Pierre-Brossolette, ce fut une levée de boucliers. Les petits commerçants unanimes y virent la fin de leur prospérité. La suite ne confirma pas ces craintes. Bien sûr, plusieurs commerces, les plus fragiles, disparurent. D’autres souffrirent et il leur fallut de nombreuses années pour "remonter la pente". Cependant, actuellement, on est arrivé à un point d’équilibre où le succès de Casino soutient l’animation de la rue.
Les clients ont pris de nouvelles habitudes, stationnant sur le parking de Casino, y effectuant leurs courses de "gros" et cherchant dans les petits commerces de l’avenue les produits de qualité absents de la grande surface : pain de l’artisan, boutons particuliers, napperons ou robes d’enfants chez Sylvette, objets d’art chez l’encadreur, fleurs chez les fleuristes, viande tendre et goûteuse chez les bouchers, andouillettes de Troyes chez les charcutiers, fromages affinés ou vins fins chez Morel, pâtisseries chez Duparc, etc., etc. Les chalands vont faire recoudre leurs chaussures chez le cordonnier. Les femmes prennent rendez-vous pour une épilation ou une séance de massage dans un des cabinets d’esthétique. Leurs maris peuvent nettoyer leur voiture chez Lav’auto ou faire effectuer une réparation chez CouvaI. Si l’on ajoute l’extraordinaire variété des services (assurances, banques, etc. ), la présence de nombreux médecins, de dentistes, l’avenue est diversité. Chacun soutient l’autre. Un petit village s’est créé ici... Bien sûr tout n’est pas rose, bien sûr, ici comme ailleurs, les commerces souffrent de la récession, mais ils survivent, parfois bien, et c’est le principal.
Attention, l’exemple de l’avenue Pierre-Brossolette n’est pas transposable sans réflexion n’importe où. Il ne suffit pas de juxtaposer des commerces apparemment complémentaires, d’ajouter une grande surface pour créer un lieu convivial. Si Brossolette est un succès c’est aussi parce que ce quartier a une histoire que nul urbaniste, même génial, ne pourra créer. L’échec fréquent des galeries marchandes ou de la création ex nihilo de quartiers commerçants dans les villes nouvelles sont des contre-exemples frappants de la complexité du problème.
Cependant, à la lumière de cette réussite on peut penser que le supermarché peut être complémentaire du petit commerce. Si les gens viennent au centre ville pour leurs gros achats, peut-être resteront-ils pour le commerce de détail. Tout le monde sait que la disparition des Magasins Réunis fut une catastrophe pour le centre ville alors même qu’ils pouvaient apparaître comme les concurrents de beaucoup. Catastrophe imparfaitement résolue par l’implantation de la FNAC. Bien sûr, il faut être très prudent aujourd’hui avant de proposer la création d’une nouvelle grande surface au centre de Troyes. Le nombre de mètres carrés dans l’agglomération est déjà excessif et tout ajout pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est donc bien du transfert, de la périphérie au centre, en gardant une même surface de vente, qu’il s’agit...
Je reste convaincu qu’en 1989 Michel Lussot et Gilles Bage voyaient loin. Leur idée de construire un forum à Argence centré par une grande surface autour de laquelle se grefferait un ensemble culturel était constructive. Personne n’y a cru, tout le monde a protesté... D’autres veulent créer un pôle de magasin d’usines à proximité immédiate du centre ville.
Pourquoi ne pas reprendre tous les projets une fois la passion calmée pour en retenir ce qui en fait la force ? Là encore, c’est du rassemblement de tous les intervenants, de toutes les personnes concernées autour d’une même table que pourra naître la meilleure solution.
Cette chance a été offerte à la ville lors du projet de la Bourse du travail. Malgré la bonne communication de la mairie sur ce sujet, je ne suis pas sûr qu’on ait profité pleinement des opportunités qui se présentaient ici. On a construit ce projet en privilégiant un investisseur et en oubliant l’avis de la population et d’autres professionnels. La communication initiale faisait espérer de grandes marques, des choses exceptionnelle à Troyes. J’ai un peu l’impression, mais je peux me tromper, que le projet final n’est pas à la hauteur de ce que l’on nous avait dit au départ.
Disons d’abord ce avec quoi nous sommes d’accord. Au risque de déplaire aux défenseurs de la mémoire ouvrière, je suis persuadé que, s’il faut un lieu pour se souvenir des luttes et en tirer des conséquences pour aujourd’hui, ce n’est ni une plaque ni une pièce souvenir qui fera l’affaire et je ne vois pas très bien comment on pourrait l’intégrer dans un centre à vocation commerciale. Vous lirez dans un autres chapitre ce que je pense de la création d’un lieu d’évocation de la Bonneterie à Troyes, c’est là qu’il faut intégrer ce programme.
Par contre l’intégration ici d’une grande surface me paraît une idée à étudier, assez positive. A condition de bien choisir l’enseigne, à condition que cette décision ne soit pas prise parce que « personne d’autres » ne veut s’implanter là-bas.
Mais ne soyons pas négatif. L’expérience doit certes nous inciter à la prudence quant à nos réactions de rejet instinctif devant tout projet nouveau. Parfois ce qui étonne, ce qui paraît être une folie transformera positivement un quartier. Les échecs sont aussi possibles. Prudence donc, consultation toujours, accord avec les utilisateurs et les professionnels, visites d’autres villes ayant des expériences similaires sont les clefs du succès. Tout doit concourir à aider le choix et à innover en diminuant au maximum les risques.
Les magasins d’usines.
Le problème des magasins d’usines doit être abordé dans cette optique. Qu’ils soient un réel apport pour la ville est indéniable. Ceux qui prétendent que la majeure partie de ces visiteurs ne rentrent même pas dans le centre ville ont partiellement raison. Ils ont tort de s’en étonner ou de se sentir lésés ; de toute façon ces clients, venant de très loin parfois, ne rentreraient pas dans le centre si les magasins d’usines n’étaient pas là, puisqu’ils ne viendraient même pas à Troyes.
Cependant, il n’est pas sûr que nous ayons fait tous les efforts nécessaires pour orienter vers le centre tous ceux qui peuvent être intéressés. Les rares tentatives ne semblent pas de plein succès. Peut-être parce que nous ne voyons le problème que de notre point de vue sans nous attacher à comprendre la psychologie de ces chalands d’un nouveau type qui viennent d’abord pour acheter et non pour visiter. On peut être en revanche surpris par la décision des édiles municipaux d’installer ces magasins dans l’extrême périphérie. Pourquoi ne pas les rapprocher du centre afin de conduire, naturellement, les clients au cœur de la ville ?
Le livre blanc sur les "magasins d’usines" élaboré par un groupe de travail comprenant des élus, des commerçants et des industriels allait dans le bon sens et démontre que, là aussi, les mentalités évoluent. Peut-être faut-il aller plus loin en établissant un véritable " Schéma Directeur d’Urbanisme Commercial " où tous les partenaires et acteurs définiraient la politique de l’agglomération en matière de petits commerces, centre ville, grandes surfaces et magasins d’usines...
Attention là aussi aux excès. Trop de surface de magasins d’usines et c’est la mort garantie pour les magasins de confection du centre. N’est-on pas proche de telles démesures ?
On sait qu’il existe un certain vice qui pousse les élus à vouloir toujours éloigner la vie du centre.
On se souvient du curieux exil de la cité administrative aux Vassaules et, plus récemment, du problème de l’Université de Technologie. Curieuse mentalité quand même, curieux fonctionnement intellectuel de ceux qui, pendant quelques semaines, consacrent beaucoup d’énergie à améliorer l’aspect du centre pour toujours choisir d’en éloigner les utilisateurs. Curieux discours schizophrénique qui prétend défendre la ville mais qui prend un malin plaisir à lui enlever toute chance de survie. Il n’y a pas ici de réelle volonté de nuire mais plus certainement (et c’est peut-être plus grave) un manque de mise en perspective de la ville, de la vie, du bonheur.
Ainsi et pour conclure, toute politique commerciale pour la ville devrait rassembler autour d’une même table les décideurs et les professionnels. Pourquoi ne pas faire ce genre de concertation avant les protestations et la colère ? Pourquoi toujours attendre l’exaspération, voire la révolte ? La discussion amènerait des idées et ferait progresser la ville.
2 commentaires à cet article :
honnêtement je preferai faire mes course en ville, et prendre cette corvée comme un plaisir transformé en promenade, mais malheureusement ce n’est pas possible faute de choix et de proposition dans les commerces, en résumé, il n’y a rien en ville que des banques, des téléphonies, et des assurances et des coiffeurs ...... donc je me rabats sur les supermarchés agrémentés d’une galerie marchande avec des commerces de marques
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Que les commerçants restent ouverts le midi, c’est une évidence, ce qui ne le font pas sont vraiment des gens qui souhaitent faire faillite, car c’est le moment où les gens sortent du travail entre deux pour faire quelques achats. Par contre pour rester ouvert plus longtemps le soir, c’est une bonne idée, mais ce n’est pas donné de pouvoir embaucher quelqu’un pour des heures supplémentaires. Et en plus le dimanche, alors que tout le monde ne veut que ça, il faut toujours que ça créer encore des polémiques. Je n’ai jamais compris pourquoi les préfectures et syndicats n’en veulent pas, ça arrange tout le monde : les consommateurs qui n’ont pas le temps en semaine, les étudiants et autres travailleurs qui veulent gagner un peu plus, ainsi que les habitants car personnellement le dimanche est pour moi le pire jour de la semaine car c’est une journée morte et j’ai horreur de ça car il n’y a rien à faire.
Monsieur Beury a tout dit. Sachons également en tirer les bonnes idées !